Pierre Llinares est un homme de l’ombre, un vrai, l’un de ces musiciens de séance dont le parcours s’étend de Nino Ferrer à William Sheller, en passant par David Bowie, Isaac Hayes ou Jerry Lewis. Débutant après la seconde guerre mondiale, il a joué sur un nombre incalculable de chansons, de musiques de films, jusqu’au moment où les maisons de disques ont renvoyé les musiciens à leurs partitions classiques, leur préférant les programmateurs et les machines. Jean-Claude Vannier est le compositeur et arrangeur français qui a le plus souvent fait appel à ses talents multiples d’instrumentiste. Il est aussi celui qui lui offert sa dernière séance en 2005. Rencontre avec l’une de ses filles, Natalie Kotka.
Quelle est la formation musicale de votre père Pierre Llinares ?
Le plus grand souhait de mon père lorsqu’il était enfant était de voyager quand il serait grand, alors ma grand mère lui dit un jour : « Tu étudieras la musique, ainsi tu voyageras mon Pierrot ! » Pierre a donc commencé par le violon en 1931 chez un professeur particulier à Alger, la ville où il est né. Deux ans plus tard il entre à la Société des Beaux-arts, qui était une école pluridisciplinaire (parmi ses camarades artistes en herbe, on peut citer les futures comédiennes Françoise Fabian et Marthe Villalonga) mais où la musique y tenait la plus grande part. En 1938, à l’âge de onze ans, Pierre donne son premier concert au violon en tant que soliste avec l’orchestre de l’Opéra d’Alger, puis entre dans la classe d’alto de Monsieur Emile Moëbs, alto solo du même orchestre de l’Opéra.
En 1943, il obtient son prix du Conservatoire d’Alger au violon et à l’alto. A la même époque, un peu avant, le père de Pierre part rejoindre les troupes nord africaines du Maréchal Juin, sous la supervision du Général Clark, pour préparer le futur débarquement d’Italie. La mère de Pierre, restée seule avec un époux parti à la guerre, doit faire des ménages pour continuer à payer les études de son fils et soutenir l’effort de guerre, comme une grande partie de la population. Voyant cela, Pierre ne supportant pas l’idée que sa mère se sacrifie pour lui, il se fait alors engager aux Ateliers de Métallurgie Durafour d’Alger, où il acquit une formation de chaudronnier. En effet, en pleine guerre, de nombreux navires torpillés arrivaient régulièrement au port d’Alger pour soit se faire découper, soit réparer.
Une anecdote : lorsque le père de Pierre revînt de la guerre après la fameuse bataille de Monte Cassino (où son corps fut en grande partie brûlé mais soigné avec de l’encre grâce à un médecin américain), il y eut beaucoup de travail à Alger pour remettre sur pied ce qui avait été laissé à l’abandon par le départ des hommes en âge de combattre. Le père de Pierre repris alors sa petite entreprise d’électricité et fut appelé pour refaire le circuit électrique d’un théâtre. Pierre ayant peu à peu délaissé ses instruments à cette époque, accompagne son père dans ce chantier. Un jour, Pierre était en train de dérouler des câbles avec son père lorsqu’il entendit un homme l’appeler « Llinares ! C’est toi Pierre ? » C’était un professeur de musique des Beaux-arts qui avait reconnu Pierre. Il lui demanda ce qu’il faisait là à dérouler des câbles au lieu de travailler son alto. Il discuta avec le père de Pierre et réussi à convaincre le père et le fils que la vraie place de Pierre était d’être sur scène et non pas d’éclairer la scène.
Pierre entre en 1946 dans l’orchestre de Radio Alger en tant qu’altiste. En 1947, il fait son service militaire et faute de pouvoir y jouer du violon ou de l’alto dans la fanfare, il apprend tout seul le cornet à pistons, en trois mois, suite à un pari avec un musicien de sa chambrée. Il préféra le cornet au trombone, pour ne pas avoir à ouvrir la marche de la fanfare militaire…
En 1950, Pierre part pour Paris et a la chance d’assister aux « cours gratuits du dimanche » de maître Georges Enesco qui le présente au concours d’altiste de l’Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire (futur Orchestre de Paris) où il est reçu premier. Cette récompense lui permet d’obtenir une dérogation pour entrer au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, rue de Madrid, où il a la chance de prendre des cours d’alto durant les tous derniers mois de son professeur, Maurice Vieux. Pierre a vingt-quatre ans à l’époque, l’âge limite pour le Conservatoire était de vingt et un an. Les années de guerre ayant malheureusement interrompu le cursus de Pierre, quand la guerre n’avait pas définitivement interrompu la vie de certains artistes en devenir… Le soir, pour gagner sa vie et payer ses études, il joue dans l’orchestre de Sylvain David au Moulin Rouge, le pianiste se nomme Lalo Schiffrin, le futur compositeur de musiques de films. En 1952, il participe au premier enregistrement phonographique de « l’Adagio d’Albinoni » avec l’orchestre Sinfonia, dirigé par Jean Vitold, à la Scola Cantorum. Puis concert à la salle Gaveau avec la même formation.
Pierre obtient son prix d’alto en 1953 et, au lieu de faire comme la plupart de ses camarades musiciens qui passent alors les concours d’entrée dans divers orchestres comme l’Opéra de Paris, Radio France, la Garde Républicaine, il se souvient de son rêve qui ne l’avait pas quitté et part voyager. D’abord à Budapest pour suivre les cours de Zoltan Kodaly, puis au Moyen-Orient, et enfin en Scandinavie.
A t-il appris à jouer seul de certains instruments ?
Oui, comme je l’ai raconté, Pierre a appris à jouer tout seul du cornet à pistons lorsqu’il fit son service militaire. Plus tard il jouera aussi de la trompette et du bugle, notamment en Scandinavie dans divers orchestres de jazz et variétés. En 1963, il tiendra le pupitre de violon-trompette dans l’orchestre d’Aimé Barelli au Casino de Monaco pendant quatre ans. Puis on retrouvera Pierre au bugle sur l’album de Jean-Claude Vannier L’enfant assassin des mouches et sur la chanson « Melody lit Babar » de l’album de Serge Gainsbourg Histoire de Melody Nelson. En 1984, il en joue sur la scène du Zénith et pendant la tournée qui suivra, pour le chanteur Renaud. En 1996, il en joue également pour le spectacle de Jane Birkin à l’Olympia, sous la direction de Jean-Claude Vannier.
Comment est-il devenu musicien de séance? Aspirait-il à une autre carrière ?
A la fin de l’année 1967, il quitte l’orchestre d’Aimé Barelli pour la région parisienne, il voulait voyager de nouveau, il se passait à l’époque des choses intéressantes à Paris sur un plan musical. Il participa dans un premier temps à l’enregistrement d’un album instrumental très pop, Delta Sound, voices in latin, à la trompette, avec le musicien Jean-Claude Pierric.
Pierre quitte une place confortable à Monaco, il doit désormais faire ses preuves ailleurs : les débuts à Paris dans la musique sont difficiles : petits galas en province, bals en banlieue, il accepte tout… Il avait quitté Paris treize ans auparavant, tout le monde l’avait pour ainsi dire oublié. Il renoue cependant avec quelques anciens du Conservatoire (dont Jean-Claude Dubois, futur fondateur à l’époque du Studio du Palais des Congrès) et le jour charnière arrive : un des anciens camarades de mon père du Conservatoire, lui propose de l’accompagner à une séance d’enregistrement pour voir comment cela se déroulait. Pierre y va les mains dans les poches, persuadé qu’on n’aurait pas besoin de ses services, simple spectateur. Mon père me racontait parfois cette anecdote qui fut déterminante pour la suite de sa carrière : l’orchestre devait jouer sur la voix déjà enregistrée d’une comédienne- chanteuse, je crois que c’était une musique de film. A l’intérieur de cette bande-son, il y avait pendant quelques mesures un solo d’alto qui devait être joué dans une autre tonalité que celle qui passait dans le casque des musiciens (je ne sais pour quelle raison : contrainte technique ? Problème de prise de son au moment de l’enregistrement de la voix ?). Aucun des altistes présents ne pouvaient jouer cette partie, étant donné la difficulté de jouer dans la tonalité écrite sur la partition mais d’entendre une autre tonalité dans le casque. Pierre lève la main, fait preuve d’un culot qui allait être payant, mais finalement ce n’était pas du culot, c’était grâce au cornet à pistons! Il avait acquis avec le cornet (qui est accordé en si bémol) la faculté de ne pas être gêné par une différence de tonalité, habitué à transposer d’oreille, de penser à un si bémol et de jouer un do par exemple, ou inversement. Contrairement aux cordes (dont l’alto fait partie), le cornet (tout comme la trompette) fait partie des instruments « transpositeurs ». Un altiste prêt son instrument, et sous l’œil d’abord interloqué puis ravi du chef d’orchestre, Pierre se prépare à jouer la partie en question. L’ingénieur du son appuie sur la touche rouge du magnéto à bandes et ce fut « dans la boîte », comme on dit. A la fin de la séance, le chef d’orchestre, qui était peut-être comme souvent l’arrangeur également, lui demanda son nom et son numéro de téléphone (le téléphone à l’époque était la première chose qu’un musicien faisait installer dans son logement.) Il ajouta : « On se revoit la semaine prochaine, messieurs veuillez noter dans vos agendas l’heure, la date et le lieu de la prochaine séance avec Monsieur Llinares ! »
A la question si mon père aspirait à une autre carrière, je me dois de raconter ce qui va suivre, parce que c’est très rare dans une carrière de musicien de haut niveau : outre son court passage aux ateliers de métallurgie d’Alger, il se trouva que dans les années cinquante pendant que Pierre jouait dans l’orchestre du Moulin Rouge pour payer ses études au Conservatoire, il fit la connaissance d’un jeune maquilleur, Michel Deruelle, qui allait créer la Société Française de Maquillage et devenir un maquilleur de cinéma réputé. A Monaco, au tout début des années soixante, lorsque Pierre était dans l’orchestre d’Aimé Barelli depuis quelques années déjà et qu’il rêvait de nouveaux horizons, il retrouva Michel Deruelle qui lui proposa de faire un stage de maquillage dans le cinéma. Et c’est là que mon père se montra aussi doué pour la musique que pour le maquillage. Sa carrière dans le cinéma débuta en 1965 pour le maquillage du film Lady L de Peter Ustinov, et se termina en 1970 avec Two times two de Bud Yorkin, alors que sa carrière de musicien de séances avait déjà commencé un an auparavant. Parmi les films où Pierre a maquillé, on peut citer : Vivre pour vivre de Claude Lelouch, La prisonnière d’Henri-Georges Clouzot, Le voleur de Louis Malle, Coplan sauve sa peau d’Yves Boisset.
Pour quels artistes, compositeurs ou arrangeurs a-t-il travaillé, tant en France qu’à l’étranger ?
Mon père fit sa carrière principalement en France, en dehors de six années passées entre 1957 et 1962 en Suède et en Finlande dans divers orchestres, puis entre 1963 et 1967 au casino de Monaco, toujours en tant que violon-trompette. Il fit bien sûr comme ses collègues musiciens quelques tournées à l’étranger : au Canada, en Amérique du Sud, avec Gilbert Bécaud dans les années 70. Au Japon avec les orchestres de Paul Mauriat et de Raymond Lefèvre dans les années 80. Pierre fit davantage de séances ou d’accompagnement d’artistes sur des scènes françaises que de tournées à l’étranger, car c’était toujours un peu risqué de s’absenter trop longtemps des studios et de Paris, il en avait déjà fait l’expérience.
Je peux dater la carrière de musicien de séances de mon père (grâce à ma mère qui avait gardé toutes ses feuilles de paye), qui commence officiellement le 4 février 1969 lors de l’enregistrement au Studio Davout de la musique de Georges Delerue pour le film Le cerveau de Gérard Oury, et se termine en 2005 avec la musique de Jean-Claude Vannier composée pour le film Aux abois de Philippe Collin avec Elie Semoun.
J’en profite pour remercier et saluer Jean-Claude Vannier d’avoir été le dernier arrangeur et compositeur à avoir fait travailler mon père. Pierre fera un petit supplément de séances lors des sessions d’enregistrement de mon premier album en 2012. C’est un sujet émouvant et sensible que cette période délicate de la décision prise volontairement, ou involontairement, qui fait qu’un musicien vieillissant, perdant peu à peu son audition, sa technique, son agilité, arrête de travailler et de jouer…
Pour quels artistes votre père a-t-il joué ?
Je vais dresser deux listes, une première liste d’artistes pour qui mon père a parfois enregistré en séances ou accompagné ponctuellement sur scène, et une seconde liste d’artistes que mon père a côtoyé de près, nombreuses séances, relation d’amitié ou d’estime mutuelle qui se sont crées au travail, complicité sur scène…
Liste 1 : Dean Martin, Lena Horn, Julia Migenes, Trini Lopez, Serge Gainsbourg, Shirley Bassey, Sylvie Vartan, Sammy Davis Jr, Thierry Le Luron, Mouloudji, Isaac Hayes, Mireille Mathieu, Tom Jones, Michel Sardou, Charles Aznavour, Julien Clerc, Eddy Mitchell, Françoise Hardy, Nino Ferrer, Nicoletta, Daniel Guichard, Patrick Juvet, Dick Annegarn, Gérard Palaprat, Séverine, Marcel Amont, Sacha Distel, Nana Mouskouri, Dalida, Bernard Lavilliers, Rhoda Scott, Georges Chelon, Tri Yann, Rika Zaraï, Demis Roussos, Francis Lemarque, Miriam Makeba, François Valery, Nicole Croisille, Eric Charden, Tino Rossi, Yves Montand, Jacques Dutronc, Alice Dona, Zizi Jeanmaire, Michel Jonasz, Charles Trenet, Régine, Lucid Beausonge, Marcel Dadi, Carlos, Gérard Manset, Alain Souchon, Michèle Torr, Charles Dumont, Richard Antony, Pierre Groscolas, Amélie Morin, Alain Chamfort, Trust, Céline Dion, Eurythmics, Michel Leeb, Guesh Patti, Gypsy Kings, Maurane, Francis Cabrel, Brigitte Fontaine, Danielle Licari, Elton John, Claude François.
Liste 2 : Jerry Lewis, Claude Nougaro, Gilbert Bécaud, Catherine Lara (avec qui ils fondent au début de leurs carrières respectives l’orchestre « Les musiciens de Paris »), Maxime Le Forestier, Barbara, Mort Shuman, Salvatore Adamo, Johnny Hallyday, Véronique Sanson, Jean-Michel Caradec, Annabel Buffet, William Sheller, Jane Birkin, Enrico Macias, Yves Duteil, David Bowie, Jane Manson, Serge Lama, Julio Iglesias, Colette Renard, Marie-Paule Belle, Renaud, Isabelle Mayereau, Richard Gotainer, Michel Polnareff, Chantal Goya, Michel Berger.
Les compositeurs pour qui mon père a été crédité en séances et sur scène : Georges Delerue, Saint-Preux, Michel Legrand, Vladimir Cosma, Michel Bernholc, Paul Mauriat, Raymond Lefèvre, Lalo Schiffrin, John Barry, Jean-Jacques Debout, Philippe Sarde, Michel Magne, François de Roubaix, Claude-Michel Schönberg, Andrew Lloyd-Webber, Philipp Catherine, Jean-Pierre Buccolo, Didier Barbelivien, Francis Lai.
Avec quels arrangeurs travaillait-il ?
Les arrangeurs qui le dirigèrent furent surtout Jean-Claude Vannier et également Jean Musy. Vinrent ensuite Jean-Claude Petit, Michel Colombier, Yvan Jullien, Gabriel Yared, Hubert Rostaing, Jean Claudric.
Parallèlement à son travail de musicien de séance, trouvait-il le temps du jouer de la musique classique ?
Pierre a également joué des œuvres de compositeurs de musique classique contemporaine. Avec Eric Alberti de l’Opéra de Paris, ils ont fondé une maison de disques à la fin des années 70, Cybélia.
Quel était le catalogue des œuvres enregistrées chez Cybélia ? Votre père a-t-il été également compositeur ?
Cybelia a produit une trentaine d’albums, en mettant la musique classique française contemporaine à l’honneur : Albert Roussel, Olivier Messiaen (Saint-François d’Assise, Orchestre et choeur de l’Opéra de Paris dirigé par Osawa, avec J. Van Dam), Darius Milhaud (premier enregistrement mondial de l’intégralité des Quatuors), Gabriel Fauré, Nadia Boulanger, Camille Saint-Saens, Eric Satie, Jules Massenet, Maurice Ravel, Jean Cras, Arthur Honegger… Ils obtinrent plusieurs prix (Diapasons d’or, Prix Charles Cros ). Au sein de Cybélia, ils créèrent le trio Albert Roussel (violon : Eric Alberti, alto: Pierre Llinares, violoncelle: Georges Schwartz), et la même année Pierre dirigea l’Orchestre de l’Opéra de Paris à la Salle Pleyel pour les 70 ans du compositeur Jean Françaix.
Pierre a composé quelques œuvres instrumentales, un mélange de Vivaldi et d’ Ennio Morricone, pour un ensemble de cordes qu’il avait nommé « Kovaldy et ses violons » avec son cher ami violoniste-saxophoniste Raymond Strozyk, avec lequel il se produisait dans des églises, des châteaux…
Vous racontait-il ses journées passées en studio?
Non, en général il n’en parlait pas beaucoup. Peut-être voulait-il profiter de ses rares moments passés à la maison avec sa famille, à faire le vide dans sa tête. Le travail de studio est si technique, casque collé aux oreilles pendant des heures, être le meilleur possible en un minimum de temps ; les heures de studio coûtaient cher aux maisons de disque, il fallait être rapide et excellent. Il y eût des périodes où mon père fit trois séances par jour, plus une scène le soir ! Lorsque j’étais moi-même élève au Studio des Variétés, il m’était arrivé de rejoindre mon père qui déjeunait avec ses collègues entre deux séances, eh bien je peux vous assurer que ces messieurs parlaient de tout sauf du boulot !
La plupart du temps, les chanteurs n’étaient pas présents lors de la séance de cordes, ils posaient leurs voix après. Souvent mon père ne savait même pas pour qui il enregistrait. Seuls étaient présents les chanteurs qui avaient également écrit la musique par exemple, et qui tenaient à superviser leurs enregistrements du début à la fin.
J’ai néanmoins quelques flashes de souvenirs qu’il m’avait racontés : il avait été un jour appelé au château d’Hérouville pour un artiste anglais. David Bowie avait toute une équipe autour de lui, son coiffeur, son cuisinier, etc. Mon père et ses collègues attendaient depuis des heures pour enregistrer, le temps passait, puis arriva l’heure du dîner, ils mangèrent tous ensemble, puis on leur demanda de rester passer la nuit au studio. Il y avait des chambres prévues dans le château pour les artistes en résidence. L’assistant de Bowie leur dit : « Vous pouvez aller dormir un peu, on vous appellera quand on aura besoin de vous messieurs ! Ne vous mettez pas en pyjama, restez en jeans, l’inspiration peut arriver à David d’un moment à l’autre ! » Effectivement mon père et ses collègues des cordes ont été réveillés à trois heures du matin pour enregistrer trois notes qui avaient été écrites par David Bowie lui-même sur un « ticket de métro », dixit mon père ! Cette anecdote correspond bien à une époque où tout était possible et permis dans la production discographique.
Je tenais particulièrement à travers mon témoignage, tout en espérant être fidèle aux souvenirs de mon père, à rendre hommage aux musiciens de l’ombre, des studios, aux collègues de mon père, qui pour la plupart sont partis rejoindre les étoiles qu’ils nous ont eux-mêmes envoyé dans les yeux tout le long de ces fantastiques années de production, d’émissions de variétés, de disques vinyles, de concerts… Merci et encore bravo mesdames et messieurs. N’oublions pas les dames car il y eut aussi de talentueuses violonistes et altistes femmes durant cette époque, je citerai entre autres France Dubois et Ginette Gaunet, rares musiciennes dans ces équipes composées en majorité d’hommes. Aujourd’hui les musiciennes sont beaucoup plus nombreuses.
Photographie : Pierre Llinares en 1962.