Entretien avec Léonie

De 1968 à 1975, les routes de Jean-Claude Vannier et de la chanteuse Léonie se sont croisées sur disque le temps d’une poignée de titres sortis, pour l’essentiel, chez Motors. C’est avec elle qu’il s’essaye à la composition, lorsqu’il n’arrange pas les tubes de Mike Brant ou de Johnny Hallyday. Tous les ingrédient sont réunis : paroles, musiques, orchestrations et interprétation, mais le succès ne sera guère au rendez-vous. Quelques années plus tard, il finira par franchir lui-même le Rubicon en sortant son premier album chez Warner.

Avez-vous suivi une formation musicale ?

Mon premier grand souvenir musical remonte à la maternelle, lorsque nous avons écouté « Pierre et le loup ». J’ai encore le son dans l’oreille et je revois la petite pièce dans laquelle nous écoutions. J’ai appris un peu le piano, le solfège, j’ai suivi des cours de chant, du chant choral. Au lycée Claude Monet, j’ai eu un professeur de musique, une blonde avec des lèvres rouges comme Marilyn qui nous apprenait à chanter « Summer Time » et nous initiait au jazz. J’ai beaucoup aimé cette période. Plus tard à Ivry, j’ai connu un professeur de musique, monsieur Meyer, excentrique et merveilleux, qui m’a fait aimer le classique. J’ai vu les Musigrains, des concerts-conférences pédagogiques, au Théâtre des Champs Élysées à Paris. Enfin, je suis de la génération Salut les copains que j’écoutais en rentrant du lycée sur Europe 1. Une approche différente de la musique, mais pour moi, la chanson est un art majeur.

Comment êtes-vous entrée dans le milieu de la chanson ?

D’abord masquée, en qualité de muse de Maurice Fanon. Il était venu enseigner l’anglais à l’annexe d’Henri IV à Ivry lorsque j’étais en 4ième. Parfois, il me chantait un air qu’il concluait en disant : « C’est vous. » Beaucoup plus tard, j’ai rencontré Sébastien Poitrenaud, le meilleur ami de mon amoureux, Francis. Poitrenaud n’arrivait pas à décrocher de contrat d’auteur/compositeur/interprète auprès des producteurs, et il a pensé qu’avec une fille comme moi cela marcherait mieux. C’est exactement ce qui s’est passé. En peu de temps, l’affaire a été conclue. Une maquette quatre a été enregistrée et Fontana l’a commercialisée sous la forme d’un  45-tours quatre titres. Il faut savoir que j’avais donné mon accord pour les maquettes, mais que j’étais contre l’enregistrement de ce disque, car je détestais la chanson « Candie » qui avait été mise en avant. Finalement, j’ai dit « oui », parce qu’il y avait « La fleur de serre », titre que j’adore, et parce que j’avais peur de perdre l’amitié de Francis, Sébastien Poitrenaud et Boris Viard… Ils me répétaient : « Tu ne te rends pas compte de la chance que tu as de faire un disque ! » Ce disque est sorti sous le nom de Léonie Lousseau ; j’ai abandonné plus tard ce nom de famille qui était celui de ma grand-mère. Aujourd’hui, j’ai repris ce pseudonyme pour publier mes chansons sur YouTube.

Votre première collaboration avec Jean-Claude Vannier remonte à ce 45-tours publié en 1968. Quel effet vous a-t-il fait lorsque vous l’avez rencontré ?

L’effet de quelqu’un de juvénile dans l’âme, un peu raide, un peu distant qui voulait se distinguer de tout et de tous.

Gardez-vous quelques souvenirs de ces séances avec Vannier et Sébastien Poitrenaud lors de ce premier disque ?

Je n’avais jamais les pieds dans un studio d’enregistrement, je regardais le preneur de son avec des yeux ronds, je découvrais, je ne me trouvais pas au point vocalement, j’étais quand même contente d’être là. Sébastien Poitrenaud semblait ravi d’avoir une interprète, Vannier dirigeait.

En 1971, vous retrouvez Vannier et Poitrenaud à l’occasion du 45-tours En Alabama. Vannier vous avait-il dit qu’il avait à l’origine composé cette musique pour un film ?

Non, je l’ignorais.

Est-ce que la chanson « En Alabama » passait à la radio ?

Oui. J’ai même été invitée à la télévision par Michel Drucker. Il m’a présenté comme Bretonne, je portais d’ailleurs des sabots. Il y a eu également Jacques Chancel, Le grand amphi. J’ai chanté « En Alabama » dans son émission. Il m’a présenté en disant : « Le tube de l’été : « En Alabanana ». » Cela a été un petit tube.

Votre voix, sur ce titre, est très originale et elle contribue à son charme, à son mystère. Qui a décidé qu’il fallait garder cette prise et ne pas réenregistrer ?

Il faudrait demander à Jean-Claude Vannier, en tout cas, je n’ai pas pris cette décision, je trouve que je chante comme Marguerite. Peut-être était-ce la volonté de Francis Dreyfus, le patron des Disques Motors chez qui le deux titres est sorti ; à moins que ce ne soit Thierry Vincent, le producteur du disque avec Christophe.

Les arrangements de Karl Heïnz Schäfer, avec qui vous avez collaboré pour le 45-tours suivant, Lennon (1972, nda), peuvent parfois évoquer ceux de Vannier. Comment l’expliquez-vous ?

Peut-être la voix et l’interprète influencent-ils l’arrangeur. Cela étant, Schäfer avait aussi sa propre signature, il avait du talent et possédait une forte personnalité. Je les distingue l’un de l’autre, je les mets à part.

Parallèlement à votre carrière de chanteuse, vous commencez une carrière de parolière pour Christophe, Philippe Lavil, Dominique Blanc-Francard… Comment le goût d’écrire vous est-il venu ?

J’y suis venue naturellement. Je pratique l’écriture et le dessin depuis mon enfance. J’ai écrit une pièce de théâtre en 5ième. Il me semble que j’ai toujours dessiné, écrit des poèmes, des chansons, etc. Mon grand-père paternel a publié des poésies, mon père était professeur de lettres. J’ai passé mon baccalauréat en seconde, j’ai eu zéro en mathématiques. Je ne comprenais pas les questions, mais j’ai écrit cinq pages de littérature par ennui et par provocation sans doute. La note a été sans pitié !

Je crois avoir écrit mon premier texte pour Dominique Blanc-Francard. Un jour, Christophe est passé aux éditions Dreyfus, il a joué une mélodie à la guitare, et tout de suite les mots me sont venus. Cela lui a plu. Je lui ai écrit les textes de « Good bye, je reviendrai » et « Main dans la main », en 1972.

En 1972, vous sortez un autre 45-tours chez Motors avec « Le jardin anglais » et « Mozart ». Vannier s’est beaucoup investi pour ce disque puisqu’il a tout écrit, sauf le premier texte, et qu’il l’a orchestré. Sentiez-vous alors en lui l’envie de réussir ?

En effet, c’était quelque chose d’un peu différent des autres fois ; l’envie de réussir était plus palpable.

Gardez-vous quelques souvenirs des séances de ce 45-tours ?

Vannier m’a demandé de finir une phrase, il fallait faire vite, alors j’ai dit : « Pour Mozart, j’ai le cœur brûlant… » Mais j’éprouvais une fois encore le sentiment de ne pas être assez préparée à l’enregistrement et j’étais frustrée de plaquer ma voix sur une musique déjà enregistrée. J’aurais voulu chanter en même temps que les musiciens jouaient. J’aimais beaucoup l’introduction du « Jardin anglais », la patte de Vannier se reconnaissait tout de suite.

Comment se fait-il que vous n’ayez pas sorti d’album durant les années 70 ?

Ma relation avec Thierry Vincent, le décès brutal de mon petit-frère, les enregistrements approximatifs, chanter sans faire de scène m’ont peu à peu éloignée des plateaux et des interviewes. La célébrité commençait à m’effrayer, j’ai quitté cet environnement après avoir enregistré deux chansons écrites avec Mort Shuman, en 1975, « So long John » et « L’autre petit prince ».

Que pensez-vous de la carrière de Vannier ?

Je pense qu’il a exactement le succès que sa personne provoque. Vannier fait des choses formidables, j’adore d’ailleurs son disque de reprises de Brassens. Et puis, il fait d’autres choses sans que l’on sache très bien pourquoi. À l’époque, il nous parlait de ses chansons. J’aime bien « Super nana », « Papa coton », mais je trouve qu’il n’est pas convaincant comme chanteur. Pour son premier album, j’avais réalisé son portrait, mais il a préféré une photographie de lui avec un imperméable dans le métro sur le bras.

Propos recueillis par Rémi Foutel le 4 juillet 2016.

NB : Les entretiens publiés ici ont été réalisés en vue de l’écriture du livre, « Jean-Claude Vannier : L’arrangeur des arrangeurs » et ont pu être amputés de certains passages apparaissant dans ce dernier.

 

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